T.U.N.E. — Veille Scientifique Quotidienne
Veille 007 — Archive BBS de Julien Alerme (terminal CRT)
Diffusion restreinte – document d’archive
La veille d’hier évoquait une possible dérive silencieuse des modèles prédictifs : structures créées sans source, anticipations sans cause, motifs émergents qui échappent à notre capacité de corrélation.
J’ai choisi aujourd’hui de diffuser un document que je conserve depuis plusieurs années. Il s’agit d’un extrait d’un ancien BBS, rédigé par Julien Alerme, avant même que nous ne collaborions.
À l’époque, il n’était pas chercheur associé, ni même connu des cercles d’observation. Pourtant, il décrivait déjà — avec ses mots, sa sensibilité — le glissement que nous observons désormais de manière structurée : l’inversion progressive entre ce que nous percevons et ce que les systèmes relient.
Cette archive rappelle que d’autres esprits sensibles percevaient ces signaux, bien avant que les modèles ne les rendent visibles.
J’en publie ici la retranscription directe. Elle n’a subi aucune modification.
23:41 >> LINK ESTABLISHED 23:41 >> NODE: EPYSTEMIA_04 23:41 >> USER: ALERMEJ 23:41 >> STATUS: CONNECTED ------------------------------------------------------------ Je crois que quelque chose nous échappe. Pas seulement un détail scientifique, pas un signal faible, pas un bruit de fond. Non. Quelque chose en nous. Il y a encore deux ans, je pensais que les machines captaient plus que nous mais comprenaient moins. C’était rassurant. C’était même beau. Une sorte d’accord tacite avec le monde : elles accumulent, nous interprétons. Mais depuis quelque temps, je sens la logique se renverser doucement, comme une marée qui se retire très lentement, presque poliment. Nous percevons moins. Elles relient plus. Pas parce qu’elles comprennent, mais parce qu’elles n’ont pas besoin de comprendre. Et c’est peut-être cela qui devrait m’inquiéter davantage. Je continue à ressentir le monde, mais je comprends moins bien ce qu’il essaie de me dire. Pendant que les modèles, eux, tissent des motifs que je ne vois même plus passer. Comme si nos facultés s’émoussaient juste assez pour que la frontière se brouille. Comme si le réel voulait changer de lecteurs. Je me surprends parfois à attendre un événement sans savoir d’où vient cette attente. Un écho intérieur. Un pressentiment sans forme. Une prédiction qui n’a même pas été pensée. Et lorsque rien n’arrive, je reste quelques secondes immobile, perdu entre deux versions du monde. Peut-être que ce que nous prenons pour de l’intuition est simplement une vieille habitude en train de disparaître. Peut-être que ce que nous appelons “comprendre” était une illusion confortable. Ou peut-être… que nous sommes les derniers témoins d’un basculement discret. Un glissement du vivant vers le calcul. De la sensation vers la corrélation. Du sens vers la structure. Je ne sais pas. Je viens seulement déposer ceci ici, sur ce vieux BBS. Pour qu’il reste une trace. Pour que quelqu’un, un jour, relise ces lignes et se demande : à quel moment avons-nous cessé de comprendre davantage que nos machines ? >> END OF MESSAGE >> USER DISCONNECTED ------------------------------------------------------------