Si vous voulez mon avis, je trouve que la Vie est bien faite. Par là, n’entendez pas que je nie les moments difficiles, douloureux ou tendus. Mais au final, ça se passe bien. D’ailleurs, nous sommes toujours en Vie, entendez « à l’intérieur de la Vie », malgré toutes nos infortunes. Ça, c’est mon côté indécrottablement optimiste. Je m’y suis fait. Mieux que ceux qui m’entourent d’ailleurs !
Mais revenons à ce jour de juillet. Le ciel était clair, l’air léger semblait danser de joie. Moi, j’étais face à une planche que je devais découper selon un angle assez invraisemblable afin de pouvoir l’emboîter dans un angle qui refusait sa présence. Mais tout à coup, le voile de cette réalité se déchira net.
Quelque chose clochait. Un sentiment étrange, suspendu entre un déjà-vu qui ne s’annonçait pas et une énième répétition stérile. J’étais perdu. Un héron poussa de l’autre côté de la route son cri qui ne ressemble à rien. Pas vraiment fait pour aider ou apaiser cet animal.
Une planche mal foutue, un vide mental et une bestiole hurlante. Voilà les pièces de mon casse-tête. Une impasse donc un café. Un bon café bien chaud est toujours la solution à un problème. Parfois même à l’avance. Vous voyez, quand je vous disais que la Vie est bien faite ! D’ailleurs — mais là je ne parle que pour moi — elle fonctionne d’autant mieux que je la laisse tout gérer.
Bon, je dois avouer que chez moi, chaque problème a son café. Un fort pour se réveiller, un dilué pour s’hydrater, un chaud pour se réconforter. Je sais ce que Pat en dit. Pas bien pour l’humidité… Tant pis, je dirai qu’il a plu. C’est trop bon ce moment de retour à soi. Comme si cette pause dans la course contre le temps cessait. La porte du lien à nous-mêmes qui se rouvre. Une cohérence, un retour à ce qui est vraiment important. Nous.
Je me suis assis, la tasse entre les mains. J’aime la sensation de mon mug Tereo chaud. Ça ne se sent pas, mais il est vert, et sa couleur me plaît. J’ai déplié le fauteuil et commencé à regarder le ciel. La planche allait devoir attendre, et je suis sûr que l’angle encore libre dut prendre cela comme une victoire sur la fatalité. J’avais l’impression de flotter, de voler. Comme à chaque fois que je vis un moment juste. Moments qui se trouvent toujours en dehors de l’action ; dans l’être.
Le chaos qui m’avait enveloppé un peu plus tôt était loin maintenant. Un changement s’était opéré, tout seul. Ha ! Vous voyez ? Quand je vous disais que le café était la solution ! Et encore… Je ne vous ai pas encore raconté le meilleur, puisque je viens seulement de terminer le pire.
J’étais donc là, dans mon jardin, allongé, mon mug en mains, en train de laisser vagabonder mon esprit de petits nuages blancs en petits nuages blancs. Imaginant dans leur chaos apparent un lièvre ou une tortue, question de maintenir ma féroce raison à l’écart de ce moment de ressourcement. Et c’est là que le souvenir d’un livre, acheté un jour de boulimie littéraire, s’imposa : La théorie du chaos.
Ni une ni deux, je fonçai dans ma gargantuesque bibliothèque — chacun son vice — et le trouvai sans peine. Car oui, je possède un ordre intérieur assorti d’un cryptage opaque à l’extérieur afin de ne pas me révéler tout de suite. La couverture crème remplaça le mug, qui avait rejoint la cuisine, et ensemble nous retournâmes sur le fauteuil de jardin qui nous tendait les bras.
— Fabrice Frère